Le cauri : histoire d’un signe de richesse, de divination, et de fierté d’une identité

17 novembre 2021 6 Min Read

On sait quasiment tous que le cauri fut jadis une monnaie d’échanges commerciaux pour nos ancêtres. Mais connaissez-vous ses autres fonctions dans les sociétés afro-descendantes ? Ce coquillage marin provient des eaux chaudes, plus précisément de l’océan Pacifique et de l’océan Indien. En plus de la force financière de ce dernier, sa valeur se trouve également dans un art divinatoire et un art matériel à forte symbolique identitaire. Il constitue un élément important dans la pharmacopée, dans des rituels de cérémonies religieuses, ainsi que dans la fabrication de bijoux, d’objets du quotidien, de vêtements, ou encore d’oeuvres d’art en Afrique de l’Ouest.

Dans cet article, je vous retrace brièvement les origines du cauri et l’évolution de son usage. Quant à ceux qui souhaitent s’imprégner du sujet en profondeur, je vous invite à vous procurer la thèse « Les cauris en Afrique Occidentale du 10e au 20e siècle », qui a été soutenue par l’historien Abiola Félix IROKO en 1988.

UNE FORCE FINANCIÈRE

Le cauri est un moyen de paiement qui a d’abord été utilisé en Asie et en Océanie. C’est aux alentours du 10e siècle que les Juifs et les Arabes l’introduisent comme monnaie en Afrique subsaharienne. Par la suite, les Portugais, les Français, les Anglais, ainsi que les Hollandais profitent de sa popularité dans la région pour également en faire un moyen de paiement dans le commerce des esclaves et de l’or.

Pour réaliser les transactions, les coquillages étaient soit comptés un par un, soit pesés dans des paniers afin de déterminer le montant exact de leur valeur. Symbole d’argent, les cauris ont donc coexisté pendant des siècles avec plusieurs autres formes de paiement au sein des sociétés d’Afrique de l’Ouest. Au début du 20e siècle, malgré la confiance qu’ils ont acquis dans les transactions, les cauris ont été formellement exclus des échanges commerciaux par le régime colonial. Les anciens ont essayé de résister en vain à ce changement imposé en faveur de la démocratisation de l’usage de la monnaie utilisée en Occident à leur place.

Aujourd’hui, le cauri reste le symbole d’une société africaine fière de son patrimoine chez certains. Mais, il suscite chez d’autres indifférence, incompréhension, ou préjugés dus à la peur de la puissance mystique qu’il a également acquis dans le temps. Cette dernière s’est développée par la pratique de la divination à travers le jet de cauris.

UNE FORCE DIVINATOIRE

Signe d’espoir en l’avenir par le recours à la sagesse d’initiés aux mystères de l’invisible, il existe des inclinaisons à la divination chez toutes les civilisations. Au-delà de l’Afrique de l’Ouest, on la retrouve par exemple dans la mythologie gréco-romaine en Europe, à travers le traité divinatoire Yi Jing en Chine, ou encore dans le chamanisme chez les Amérindiens. Elle est le fruit de croyances anciennes avec la verbalisation d’enseignements, vus de nos jours comme les grands mythes de l’histoire de ces peuples qui témoignent de leur richesse culturelle.

Même s’il existe des écrits sur le sujet, la divination par le jet de cauris est un savoir séculaire qui est normalement transmis oralement. Ainsi, seul l’initié peut fournir une interprétation fidèle aux canons religieux des anciens. Les invocations et prières l’aident à atteindre la profondeur mystique nécessaire. De la sorte, par des expressions et courtes phrases, il affirme avec une grande certitude l’avenir du consultant qui le remercie avec une aide financière ou symbolique. La personne qui consulte les coquillages le fait pour écouter le récit qui va lui permettre d’obtenir la réponse recherchée qui prédira sa bonne fortune, ou les dangers qui l’attendent. Cela peut aussi être lié à la recherche de solutions pour résoudre des problèmes de nature économique, sentimentale, spirituelle, ou autre.

Selon les sources, il est essentiel de respecter les spécificités culturelles de chaque population du continent africain dans l’interprétation de la pratique de ce culte. La description faite dans cet article est inspirée du livre « La divination africaine par les cauris – Histoire, théorie et pratique » écrit par Zolrak. Ce dernier est un initié qui construit son argumentation autour des Yorubas, une population surtout présente au Nigeria actuel.

UNE FORCE ARTISTIQUE

Zolrak souligne que l’art autour des cauris et certaines conceptions religieuses sont indissociables. L’auteur cite l’exemple de têtes modelées à la main par des experts en liturgie Yoruba qui représentent la forme du nez avec un cauri assez proéminent. Plus le coquillage est proéminent, plus le propriétaire aura des pouvoirs de traque olfactive. Tout ce qu’il pistera lui sera alors profitable financièrement comme le veut la symbolique première des cauris.

De façon générale, la création d’objets avec les emblèmes religieux (sculptures, bijoux, bâtons, sceptres, etc.) précède les rituels mystiques. Le cauri est rarement absent de ces créations, soit pour représenter leur valeur, soit pour générer un pouvoir guerrier qui défend le possesseur de la création contre toute attaque.

Le développement dans le monde de la divination telle qu’elle est pratiquée en Afrique est lié à la dispersion des populations afro-descendantes en Amérique pendant le crime d’esclavage. Certains afro-descendants ont réussi à rester connectés aux savoirs religieux autour des cauris, qui les rattachent à une dignité au travers de valeurs ancestrales qui leur appartiennent. Cela s’est parfois concrétisé par la création d’un syncrétisme qui fusionne des canaux religieux occidentaux avec des canaux religieux africains. Dans la forme, il s’agissait pour eux d’éviter de se mettre en danger pendant la traite des noirs en faisant semblant d’adopter la foi de l’oppresseur. Mais en réalité, ils restaient fidèles à eux-mêmes dans leur coeur qui exprimait leur vraie foi.

UNE FORCE IDENTITAIRE

De nos jours, la force identitaire du cauri est massivement reprise par la diaspora noire dans le secteur de la mode ! De nombreux designers construisent leur univers créatif autour de ce coquillage pour valoriser le patrimoine africain dont ils ont hérité.

Par exemple, la créatrice Kory Wäde a intégré le mot à son nom de marque. La créatrice Lafalaise Dion s’est quant à elle donnée le surnom Queen of Cowries. Ou encore, la hair designer Murielle KABILE l’utilise régulièrement dans ses coiffures dites de Haute Couture. Les exemples sont encore nombreux où on le retrouve aussi sur des boutonnages de vêtements, des bijoux, des objets de décorations…

Personnellement, adolescente, j’aimais attacher un cauri symbolique sur la tresse avant de mes coiffures. Sans revendication particulière, j’appréciais simplement l’esthétique du style créé. Aujourd’hui, parfaitement consciente de la valeur culturelle qu’il représente, je le préfère sur des bijoux que je porte fièrement comme sur la photo ci-dessus !

Et vous, à laquelle de ces utilités du cauri êtes-vous le plus sensible ?

Au plaisir de vous lire en commentaire.

(Par Salimata)
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2 Comments

  1. Moukanjo Benjamin dit :

    Utilité mystique,protectrice et identitaire

    1. Sali dit :

      Merci pour votre commentaire Benjamin et pour ce beau résumé de la richesse symbolique des cauris✨

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