L’histoire de 6 tissus populaires d’habillement qui valorisent la créativité du Made in Africa

10 mai 2022 19 Min Read

Est-ce que vous aussi, vous avez tendance à reconnaître assez facilement de vue les tissus dits Made in Africa, mais leurs noms et les connaissances autour de leur fabrication vous échappent ? Bon, sur la photo ci-dessous, c’est assez facile ! Ce sont différents échantillons de bogolanfini qui étaient exposés au Salon International de l’Artisanat du Mali. Mais avec cet article, on vous propose d’aller plus loin dans l’histoire des origines du savoir-faire ancestral de la teinture bogolan, ainsi que de cinq autres catégories de tissus d’habillement.

Même si ces étoffes ne sont pas toutes totalement produites localement, ces dernières se sont imposées comme des symboles d’une identité africaine dans le domaine de la mode. Faisons les présentations !


L’HISTOIRE DES PAGNES TISSÉS SPÉCIFIQUES À CHAQUE PAYS D’AFRIQUE…

Les arts du filage, du tissage et de la teinture sont des savoir-faire avec une maîtrise artisanales personnalisées dans chaque pays d’Afrique. Généralement produits à partir de raphia ou du coton qui est cultivé en masse sur le continent, les tissus obtenus sont utilisés dans le domaine de l’habillement, mais aussi sous forme de parures qui servent à décorer les habitats.

Leur production se résume à trois grandes phases. Les artisans utilisent de grands métiers à tisser pour réaliser des longues bandelettes de tissus. Ces bandelettes sont ensuite assemblées avec une couture bord à bord pour augmenter la largeur d’une pièce selon les besoins. Puis accessoirement, vient la phase de teinture durant laquelle les pièces produites sont personnalisées avec des couleurs ainsi que des motifs qui symbolisent des rangs sociaux ancestraux, ou des valeurs culturelles propres à l’histoire de chaque localité.

Même si elles peuvent parfois se montrer difficiles d’accès, la diversité des créations issues de ce travail représente la fierté identitaire des différentes régions dont elles sont originaires, d’où différentes appellations : pagne dalifini du Mali, pagne kente du Ghana, pagne faso dan fani du Burkina Faso, pagne rabal des Mandjacks du Sénégal et de Guinée Bissau, pagne korhogo des Sénoufos de Côte d’Ivoire, pagne baoulé également de Côte d’Ivoire, pagne kanvô du Bénin, pagne ntshak du Congo, pagne shuka des Massaïs du Kenya et de la Tanzanie…

Notons qu’il existe également des pagnes produits avec des spécificités supplémentaires, notamment celle de la broderie ou encore du tissage en velours, à l’exemple du pagne toghu du Cameroun.

Bonne adresse : la marque Kente Gentlemen (made in Côte d’Ivoire)

Dalifini du Mali

L’HISTOIRE DES TISSUS TEINTS AU BOGO AVEC DES MOTIFS ANCESTRAUX SYMBOLIQUES…

Foulard aux imprimés inspirés du bogolan

Le bogolan, terme qui désigne une technique de teinture issue de (« lan ») la terre (« bogo ») en bambara, donne des étoffes appelées bogolanfini. Un récit raconte que la découverte de cette technique est le fruit du hasard. Le bogolan vit la lumière au Mali actuel, grâce à une femme qui nettoyait dans le fleuve un pagne taché de boue. Elle s’aperçut que la boue avait teint le vêtement de marques indélébiles. C’est sa compréhension du secret derrière l’événement fortuit qui aurait permis de développer cet art traditionnel, dont la popularité s’est au fur et à mesure répandue au-delà du Mali.

Cette technique, qui imprègne les vêtements teints de l’énergie vitale de la terre, s’aligne avec des valeurs de respect d’une place symbolique allouée à la nature. Ces valeurs sont ancrées dans le quotidien des sociétés d’Afrique de l’Ouest depuis des générations.

La teinture se fait manuellement sur des tissus à base de fibre de coton également tissé à la main. Pour obtenir les couleurs authentiques qui caractérisent cette technique, en plus de boue fermentée, l’artisan utilise une plante appelée n’galama. Le tissu est d’abord trempé dans un bain de n’galama qui va permettre la fixation des couleurs. C’est la phase de préparation du tissu. Une fois le tissu sec, l’artisan peut alors commencer la teinture équipé de pinceaux et du bogo pour dessiner des motifs réguliers qui sont généralement inspirés de la nature et de la vie quotidienne. L’artisan répète plusieurs fois ce cycle de teinture, suivi du séchage au soleil, puis rinçage, jusqu’à qu’il obtienne l’intensité de la couleur souhaitée.

C’est à partir des années 80 que la popularité du bogolanfini a commencé à se développer hors du continent africain, notamment dans l’univers de la haute couture internationale, grâce au talent de créateurs fiers de leurs origines comme le pionnier Chris Seydou.

Aujourd’hui, les tissus teints au bogo de façon artisanale sont la plupart du temps produits sur des toiles de coton épaisses. Leur lourdeur est plus adaptée aux normes de l’univers de l’ameublement qu’à l’industrie de la mode. Ainsi, malheureusement pour les artisans locaux, afin d’avoir la possibilité de reproduire l’esprit visuel de cet art sur des tissus plus légers, des créateurs de mode doivent parfois recourir à des répliques aux motifs imprimés de façon industrielle. Cela leur permet de réaliser des vêtements dotés d’une texture au confort mieux adapté aux réalités saisonnières, particulièrement pour les périodes de grandes chaleurs.

Bonne adresse : la créatrice Mariah Bocoum (made in Mali)


L’HISTOIRE DES JEUX DE COULEURS DE LA TEINTURE BATIK ET LA TECHNIQUE DE CRAQUELAGE, UNE SPÉCIALITÉ AFRICAINE…

Dans le temps, le savoir-faire autour de la teinture batik a voyagé de pays en pays. Cela a donné lieu à des pratiques qui varient au niveau géographique, mais la technique de base reste la même pour tous.

Batik est un terme javanais qui désigne la cire. Cette dernière est à la base de cette méthode de teinture qui s’organise autour de cinq grandes étapes : réaliser des motifs au tampon ou a la main sur un tissu, appliquer de la cire qui sert à réserver (imperméabiliser) les parties du tissu qui ne sont pas à teindre, tremper le tissu dans le bain de teinture, le sécher, et le tremper dans de l’eau bouillante qui sert à faire fondre la cire afin de conserver la couleur initiale aux endroits désirés. Puis, ce processus se renouvelle autant de fois que le nombre de couleurs à appliquer sur le tissu.

Il existe différentes spécificités techniques autour de la teinture en batik pour ajouter des effets esthétiques au tissu. Le craquelage est l’une de ces spécificités. Très appréciée en Afrique, cette technique consiste à enduire le tissu de cire, le froisser, et ensuite le passer dans le bain de teinture. Le résultat de cette méthode produit des fissures irrégulières qui laissent pénétrer une portion du colorant sur le tissu avec un effet craquelé original.

Souvent confondue avec la teinture batik, le tie and dye est une autre technique de teinture à réserve. Au lieu d’utiliser de la cire, ce sont des procédés de nœuds et de plis qui sont faits pour réserver des zones du tissu avant de le teindre. Le pagne koko dunda est l’illustration d’un exemple connu de teinture tie and dye car le Burkina Faso l’a labellisé. Cette démarche burkinabè permet de valoriser au-delà de ses frontières la maîtrise de ce savoir-faire par ses artisans, et de certifier l’origine des tissus de qualité réalisés par ces derniers afin de les protéger de la contrefaçon.

Bonne adresse : la marque Sisters Of Africa (made in Sénégal)

4 coupons de tissu batik made in Sénégal

L’HISTOIRE DE LA POPULARITÉ SUR LE CONTINENT DES DIFFÉRENTES DÉCLINAISONS D’ÉTOFFES BLEUTÉES TEINTES À L’INDIGO

Écharpe en indigo made in Mali

En plus de leurs vertus médicinales, les feuilles d’indigotier sont des colorants naturels. Cet arbuste pousse dans les régions chaudes, et il possède plusieurs variétés d’espèces qui en teinture donnent différentes nuances de bleu selon l’espèce utilisée.

L’Usage de l’indigo est très répandu en Afrique pour colorer des vêtements. Le processus de teinture commence par la récolte des feuilles qui sont mises en boule pour former une pâte colorante. Les feuilles sont ensuite fermentées dans une cuve contenant un mélange d’eau chaude, plus de la cendre qui sert à libérer les pigments colorants, et des matières organiques sucrées (miel, dattes…) qui aident à améliorer la qualité du bain de teinture. C’est à la sortie de ce bain de teinture que le tissu vire au bleu, notamment lors du contact avec l’air libre qui fixe la couleur par effet d’oxydation.

Les designs sur les tissus sont réalisés selon la technique choisie par les artisans. Ainsi, les motifs que l’on retrouve sur ces étoffes sont soit réalisés avec la méthode de la teinture batik, soit avec celle des plis et nœuds du tie and dye, des méthodes toutes deux présentées ci-dessus.

Plusieurs pays d’Afrique ont développé leur maîtrise de ce savoir-faire sur des étoffes à la popularité intemporelle. Ces dernières sont imprégnées des traits culturels de leur lieu de fabrication comme par exemple le pagne lépi de Guinée, le pagne ndop des Bamilékés du Cameroun, le pagne des Dogons du Mali, ou encore le pagne shweshwe d’Afrique du Sud.

Aujourd’hui, l’usage des colorants synthétiques s’est développé partout dans le monde. Ces derniers sont souvent le fruit de mélanges chimiques néfastes pour l’environnement, et pour la santé des artisans qui les manipulent. Mais, il existe encore d’authentiques maîtres de l’indigo, comme l’artiste textile malien Aboubakar FOFANA, qui agissent en faveur de la survie de l’art ancestral des méthodes de teinture végétale !

Bonne adresse : la marque Sarakulé (made in Mali)


L’HISTOIRE DES TISSUS IMPRIMÉS IMPORTÉS QUI SE SONT RÉPANDUS AU POINT D’INVISIBILISER LA RICHESSE DES SAVOIR-FAIRE AFRICAINS…

L’histoire des tissus imprimés importés commence durant la colonisation avec le tissu wax. Wax signifie cire en anglais. Réplique de la technique du batik, à la différence qu’il est produit de façon industrialisée, la commercialisation de ce tissu par des européens avait pour origine la vocation de conquérir le marché textile de pays colonisés. C’est un pari partiellement gagnant. Ainsi, leurs créations rencontrent un énorme succès en Afrique, particulièrement les pagnes de la marque hollandaise Vilsco.

Cela a contribué au fait que les imprimés qui ornent ces tissus se sont au fur et à mesure exclusivement imprégnés des codes culturels du continent, au point que certaines étoffes populaires ont acquis des significations sociales dans certaines régions. C’est pourquoi on retrouve des tendances de motifs repris de façon récurrente, comme par exemple le pagne orné de fleurs d’hibiscus devenu symbole du bonheur souhaité aux jeunes mariés, ou encore le pagne orné d’hirondelles qui incarnent également le bonheur.

Qu’on l’aime ou pas, le pagne wax s’est inscrit dans l’histoire de la mode africaine en étant le tissu associé au continent qui est le plus visible dans les médias. C’est sa force industrielle accompagnée de son adaptation aux codes culturels afro qui ont permis à ce textile importé de devenir le leader du marché africain, au point de presque invisibiliser l’existence des productions locales dans l’imaginaire international.

Toutefois, avec le temps, la prise de conscience des Africains sur les origines controversées de ce tissu a fait apparaître des mouvements de valorisation qui mettent l’accent sur l’importance de consommer les créations locales.

Aujourd’hui, il existe des marques africaines qui produisent des pagnes wax, mais celle qui domine le marché reste la marque hollandais Vilsco dont le règne est également confronté à la concurrence d’imitations chinoises bon marché.

Bonne adresse : Natacha Baco, créatrice franco-congolaise

Diversité des tissus imprimés

L’HISTOIRE DE L’ART DE LA BRODERIE PERSONNALISÉE EN AFRIQUE DE L’OUEST SUR LES TENUES HAUT DE GAMME TELLES QUE LE BAZIN…

Tunique en bazin brodée sur l’encolure

La mode du port de vêtements ornés de broderies personnalisées s’est particulièrement répandue en Afrique de l’Ouest, notamment durant le développement des usages techniques autour des tendances vestimentaires de la culture musulmane dans cette région.

Prenons l’exemple du Mali. L’expertise autour de la broderie artisanale sur les textiles s’est d’abord construite dans des villes qui sont depuis longtemps sujettes aux partages d’usages culturels, à l’exemple de Tombouctou et Djenné.

Pratiqué à la machine par beaucoup, à la base, c’est un art qui est traditionnellement produit à la main. Ce travail peut demander des jours de patience pour réaliser des étoffes brodées, dont la valeur marchande dépend du nombre de motifs réalisés, et de la quantité de fil utilisé.

La pratique de ce savoir-faire est très répandue sur le bazin qui est destiné à la couture d’habits prestigieux comme les tenues de fêtes. Mais qu’est-ce que le bazin exactement ? Le bazin est un tissu damassé composé de coton blanc, avec différents niveaux de qualité selon son lieu de fabrication.

Comme le pagne wax, la popularité de ce tissu fait débat au Mali car c’est une étoffe importée, généralement d’Europe ou de Chine. Mais la différence avec le pagne wax est que, c’est sa personnalisation à la demande pratiquée par les artisans locaux qui a développé sa renommée. Ainsi, en plus d’y apposer des broderies sur-mesure, les artisans maliens font appel à leur maîtrise de la teinture traditionnelle pour magnifier ce tissu avec des jeux de couleurs éclatants qui s’adaptent aux envies personnelles des clients admiratifs du résultat.

De nos jours, le succès de leur savoir-faire artisanal, un art qui demande des jours d’attente à un client avant qu’il n’obtienne le résultat final de la création commandée, est toutefois confronté à la concurrence du développement des bazins teints industriellement à l’étranger. Ces nouvelles répliques importés mettent ainsi à rude épreuve la fidélité de la clientèle des artisans, car elles ont l’avantage d’être plus rapides d’accès avec en bonus des tarifs attractifs.

Bonne adresse : la créatrice Nama DG (basée à Paris)

Morale de l’article…

Si les tissus cités ne sont pas tous 100% made in Africa, des pays telles que le Burkina Faso œuvrent (petit à petit) à re-développer en interne tous les maillons que constitue la chaîne de production d’un vêtement (de la récolte des matières premières à leur transformation), tout en prévenant les attentes et les goûts des consommateurs qui au-delà des prix, sont de plus en plus sensibles aux origines locales des produits qu’ils achètent.

Dans l’avenir, cela peut permettre aux pays producteurs de plus largement se réapproprier les bénéfices du fruit de la créativité de leurs artisans qui est reconnue à l’international, et de pleinement utiliser leur savoir-faire eco-friendly dans un monde de la mode qui (sous la pression des usagers) s’engage à graduellement revenir sur la voie des valeurs éthiques de la slow-fashion !

Une pensée à partager sur le sujet ?

Au plaisir de vous lire en commentaire.

(Par Salimata)

Written By

J’évolue dans le blogging avec pour philosophie #goodvibesonly

Leave a Reply

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

×